De l'abolition à la commémoration

commémoration de l'abolition de l'esclavage
Aujourd'hui 10 mai, c'est la journée nationale de commémoration de l'abolition de l'esclavage en France.
Le 10 mai est le jour de l'adoption par le Parlement en 2001, de la loi Taubira "reconnaissant la traite négrière transatlantique et l'esclavage en tant que crime contre l’humanité".

Mais son adoption a été hyper laborieuse:
  • 1ère lecture de la proposition de loi à l'Assemblée Nationale le 18 février 1999.
  • 1ère lecture au Sénat le 23 mars 2000
  • 2ème lecture à l'Assemblée Nationale le 6 avril 2000
  • 2ème lecture et adoption de la loi par le Sénat le 10 mai 2001
Plus de 2 ans se sont écoulés entre la proposition de loi et son adoption. Comme quoi... La lenteur législative sévèrement critiquée depuis quelques temps ne date pas de l'ère Hollande. Mais je m'égare. 

Mais dans le genre laborieux, il y a encore pire: l'abolition de l'esclavage elle-même.
La France a eu beaucoup de mal à émanciper les populations qu'elle exploitait au nom de son expansion économique et d'une certaine vision ethnocentrique de sa supériorité.
  • En août 1791, des esclaves se révoltent dans la colonie française de Saint-Domingue. 2 ans plus tard, en août 1793, Léger Félicité Sonthonax abolit l'esclavage à Saint-Domingue.
  • En février 1794, sous Robespierre, la Convention vote l'abolition de l'esclavage. La France devient la 1ère puissance européenne à interdire l'esclavage dans toutes ses colonies. Mais la loi n'est pas respectée partout. Et on continue de laisser faire face dans les îles françaises de l'Océan Indien.
  • Le 20 mai 1802, Bonaparte rétablit l'esclavage. Sauf à St-Domingue. L'île en profite pour proclamer son indépendance sous un autre nom, Haïti, le 1er janvier 1804. Elle devient la 1ère République noire de l'Histoire.
  • Entre 1806 et 1807, la Grande-Bretagne interdit la traite négrière. La France fait pareil entre 1815 et 1818.
  • Les années 1820 sont marquées par un essor du mouvement abolitionniste en France et en Angleterre.
  • Le 27 avril 1848, Victor Schoelcher, sous-secrétaire d'Etat à la Marine, abolit (pour la seconde fois donc) l'esclavage. Et cette fois-ci, de façon définitive:
Article 1er: "Considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine; qu'en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir; qu'il est une violation flagrante du dogme républicain: Liberté, Égalité, Fraternité", le gouvernement provisoire décrète que "l'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises" et que "tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront absolument interdits".
Article 8: "A l'avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement à tout trafic ou exploitation de ce genre. Toute infraction à ces dispositions entraînera la perte de la qualité de citoyen français".
On pourrait applaudir des deux mains. Mais la colonisation, qui se met en branle dès la première moitié du 19ème siècle en France, aboutit dans certains territoires à une autre forme d'esclavage en bafouant certains droits fondamentaux des peuples colonisés.

C'est un peu le paradoxe français d'alors: on abolit l'esclavage mais on se lance dans la colonisation.

Ainsi, en 2005, quand la loi française n° 2005-158 du 23 février "portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés" est défendue par Hamlaoui Mekachera, une polémique enfle autour de plusieurs articles ainsi formulés: 
Article 1er: "La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française". 
Ce premier article annonce la couleur. La loi vise en fait à mettre en place une histoire officielle unilatérale qui voudrait que l'on reconnaisse le rôle bénéfique joué par la France dans ses anciennes colonies, et ce, sans prendre en compte ses exactions.
Article 4, alinéa 2: Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit". 
Et là, on met les pieds dans le plat en exigeant carrément que les programmes scolaires soient modifiés afin de mettre en avant le rôle bienfaiteur de la France dans ses colonies. Comme si ces régions, ces pays avaient eu nécessairement besoin de la France pour se construire par eux-mêmes une identité propre.
En revanche, la seconde partie de l'article est essentielle, particulièrement pour les tirailleurs sénégalais, les régiments de spahis ou encore les harkis qui ont souvent payé de leur vie pour servir la France.

Sauf que... Heureusement qu'il n'aura pas fallu attendre 2005 pour que les professeurs aient la présence d'esprit d'enseigner aux élèves l'histoire de la Coloniale et des soldats issus des colonies qui se sont battus aux côtés des Métropolitains.
Article 13: "Peuvent demander le bénéfice d'une indemnisation forfaitaire les personnes de nationalité française à la date de la publication de la présente loi ayant fait l'objet, en relation directe avec les événements d'Algérie pendant la période du 31 octobre 1954 au 3 juillet 1962, de condamnations ou de sanctions amnistiées, de mesures administratives d'expulsion, d'internement ou d'assignation à résidence, ayant de ce fait dû cesser leur activité professionnelle [...]".
L'article 13 est un peu la cerise sur le gâteau puisqu'il vise directement les anciens membres de l'OAS qui avaient fait l'objet de condamnations.

Même si cette loi et l'héritage colonial de la France n'ont pas grand chose avoir avec la journée du 10 mai, je trouve que, malgré tout, ils révèlent la grande difficulté d'introspection et d'autocritique de notre pays.

Cette histoire de rôle "positif" de la colonisation parle d'elle-même. Et elle prend tout son sens dès lors que tu découvres que c'est Christian Vanneste himself qui est à l'origine de cet amendement visant à introduire cette expression "rôle positif".  

Et alors que j'avais signé la pétition initiée par Claude Liauzu "Colonisation: non à l'enseignement d'une histoire officielle" le 25 avril 2005, j'avais refusé de signer celle du collectif "Liberté pour l'Histoire" en décembre 2005 parce qu'il mettait dans le même sac la Loi Taubira et la Loi Mekachera et dénonçait leur caractère intrusif dans l'enseignement de l'histoire en France.

Car il me semble qu'il y a une sacrée différence entre:
Loi Taubira: "Les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l'esclavage la place conséquente qu'ils méritent.
Loi  Mekachera: "Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer".
Finalement, en 2006, l'expression "rôle positif" sera supprimée mais l'ensemble de cette loi demeure bien imparfait.

Autant j'ai beaucoup de mal avec l'histoire officielle, autant les débats parlementaires de 2001 révèlent un consensus assez net sur la nécessité de reconnaître l'esclavage et la traite négrière comme crime contre l'humanité. 

Finalement, aujourd'hui 10 mai, j'aurais aussi pu célébrer l'anniversaire de l'élection de François Mitterrand en 1981.
Mais j'avais 3 ans.
Autant te dire que je ne m'en souviens pas même si ma mère, elle, s'en souvient parfaitement puisqu'elle avait voté VGE et que, quand elle a vu apparaître le visage pixelisé de François Mitterrand sur son écran de TV à tube cathodique, elle a dit:
"Oh meeeeeeerde!"
22 ans plus tard, elle s'en est remise et elle a même voté François Hollande aux deux tours l'année dernière.

Donc ma commémoration mitterrandienne s'arrêtera là.  

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11 commentaires

  1. On a donc à peu près la même position.

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  2. J'avoue : je n'avais lu ce billet qu'en diagonale au moment où je l'ai commenté parce que tu avais averti par mail. Je le vois maintenant à l'occasion de ma revue de blog et je lis tout ! Très bon boulot récapitulatif.

    Tu parles à juste titre de la colonisation. Lors de l'intervention au Mali, j'avais pas mal étudié le sujet. Le Mali a eu son indépendance en 1959... et on y pratiquait toujours l'esclavage, je crois (pas nécessairement nous mais les populations locales entre elles). C'est même pire pour la Mauritanie.

    Dater la fin de l'esclavage en France du 19ème siècle est osé quand on constate qu'elle date d'une grosse cinquantaine d'années.

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    1. Merci.
      C'est bien pour ça qu'il y a une grosse différence entre la fin officielle et officieuse.
      Et c'est pour ça aussi que je parle de paradoxe: abolir l'esclavage tout en se lançant dans la colonisation...

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  3. Pour moi, et c'est ce qui je dis dans mon dernier billet, l'important est aussi franco-français, pour nos concitoyens d'outre-mer et de France descendants d'esclave, on leur doit cette mémoire, c'est du respect et de la reconnaissance.
    Bon boulot et pas si long que cela, j'aurais pu faire bien plus chiant si j'avais voulu faire la même chose que toi!

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  4. Je remarque que la loi sur le rôle positif porte le nom de Mekachera et non celui qui l'a inspirée (Vanneste). Ça renseigne sur l'état d'esprit qui règne encore dans les cerveaux de droite : un arabe pour porter une disposition scélérate, ça vous laisse les mains propres !

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  5. ...j'ai oublié : et la tête haute.

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    1. Oui mais attention, cette histoire de rôle positif ce n'était que l'article 4 hein.

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